Ministre de la Santé en 2024 et actuelle Députée des Landes
Après avoir exercé comme allergologue pendant 25 ans et occupé plusieurs postes ministériels, elle nous partage sa vision sur les défis actuels du système de santé et les perspectives pour le futur de la médecine libérale.

Madame la Ministre, forte de votre expertise du terrain et de votre connaissance des contraintes ministérielles acquises à travers divers portefeuilles, pourriez-vous nous parler de votre expérience au Ministère de la Santé ? Est-ce un exercice particulier ou pas ?
Quels sont les travaux que vous auriez aimé mener si vous étiez restée plus longtemps à ce poste ?
L’accès aux soins primaires est une grande préoccupation. Beaucoup de mesures ont déjà été mises en place, et je tiens d’ailleurs à remercier les professionnels de santé pour leur engagement dans les CPTS, les MSP et les SAS, car cela améliore l’offre de soins. J’aurais aimé continuer dans ce sens et renforcer le maillage territorial.
Certaines régions manquent aussi cruellement de médecins, il faut donc encourager toutes les initiatives, y compris associatives, pour répondre à ce besoin. Je voulais ainsi améliorer la connaissance des territoires par les étudiants en médecine, en augmentant leur présence dans les hôpitaux généraux et en formant davantage de médecins encadrants. Il faut aider les étudiants à découvrir ces régions car on ne s’installe pas dans un endroit que l’on ne connait pas.
C’est aussi une façon de mettre en relation des médecins sur le terrain avec des jeunes qui pourraient ensuite travailler avec eux.
La financiarisation de l’offre de soins libérale entraîne des problèmes visibles, comme les fraudes
dans certains centres ophtalmologiques ou dentaires, mais aussi des impacts plus discrets, comme lorsque les Centres Médicaux de Soins Immédiats (CMSI) prennent en charge les consultations de Soins Non Programmés (SNP) rapides et rentables, tandis que les médecins généralistes gèrent les patients polypathologiques et les cas complexes. La médecine libérale
est ainsi fragilisée. Quelle est votre vision à ce sujet ?
Je suis très préoccupée par la financiarisation du secteur médical. Cela génère des coûts énormes à cause de la redondance de certains actes et de la surconsommation médicale. J’ai encouragé des cabinets de SNP associatifs portés par des médecins retraités sur certains territoires où il y avait un vrai sujet d’accès aux soins mais la financiarisation dévoie souvent ce type d’initiatives pourtant utiles. Il est donc crucial de travailler en profondeur pour éviter les distorsions en termes d’actes et réglementer ces activités.
Lors des débats sur le PLFSS, il y avait un amendement pour une réglementation de ces centres de SNP mais qui n’est malheureusement pas passé. Pour autant la financiarisation dégrade les finances de l’assurance maladie et peut conduire à une hyperconsommation. Il faut donc vraiment réguler tout cela.
La proposition de loi Garot relance le débat sur la régulation de l’installation des médecins. Comme vous l’avez dit, dans certaines communes l’accès aux soins devient très compliqué, ce qui rend très difficile l’exercice des médecins exerçant sur ces territoires. Cependant plutôt que de créer des cadres bureaucratiques, restrictifs et parfois inopérants, comme on l’a vu avec certaines MSP vides, ne serait-il pas préférable de confier cette régulation aux ARS et aux URPS, en collaboration avec les collectivités locales ? Seriez-vous favorable à une déconcentration de la politique de santé, comme en Allemagne, où les régions organisent l’offre de soins via des organisations de type URPS ?
J’avais rencontré le ministre allemand lors de leur grande réforme de la santé parce qu’ils ont les mêmes problèmes que nous de déprises en zone rurale. Pendant mes trois mois au ministère, j’ai souvent répété que l’organisation de la santé est une question d’aménagement du territoire. Il faut parler de service public, d’implantation des structures de santé qu’on ne peut pas dissocier de toutes les réflexions d’aménagement du territoire qu’ont les élus que ce soit dans les schémas de cohérence territoriale, les PLUI, etc… Donc je crois que c’est essentiel que les choses soient travaillées à l’échelle des ARS car les territoires sont divers. En Nouvelle-Aquitaine, de la Creuse jusqu’aux Pyrénées Atlantiques, les besoins sont très différents. C’est un vrai sujet d’aménagement du territoire.
Même si un afflux de jeunes diplômés est attendu à partir de 2030, nous sommes encore dans une période creuse. Or aujourd’hui, environ 20% des médecins retraités restent actifs mais ne bénéficient plus de l’exonération des cotisations sociales prévue en 2024. Ne pourrait-on pas envisager de trouver une alternative pour ces médecins engagés en leur accordant par exemple des droits de retraite supplémentaires sur un modèle similaire à celui des militaires retraités ?
Oui, je trouve cela normal d’encourager le travail des médecins retraités en leur accordant de nouveaux droits. Et je suis prête à soutenir ce genre de mesures. Merci de poser cette question dans le contexte actuel. Une loi va être votée, et comme je le dis souvent aux partenaires comme l’Ordre des médecins, il est important de faire des propositions et de s’organiser pour ne pas subir les décisions. Sinon, la méconnaissance des spécificités de votre exercice au Parlement peut avoir des conséquences.
Interview réalisée par Didier SIMON, Emmanuel BATAILLE et Eloïse BAJOU
Qu’en pense l’URPS ?
Nous constatons à la lecture de cet interview que les médecins libéraux ont toujours du mal à se faire comprendre et que les politiques, s’ils sont toujours en attente de nos idées, peinent à les appliquer.
Cela montre toutes les difficultés à réformer un système de soins dans un mode de fonctionnement technocratique.
Nous pouvons être inquiets devant les choix politiques qui sont faits (proposition de loi, politique
transpartisane…) sans amélioration de la qualité des soins.
Nous pensons que la déconcentration de l’Etat ne doit pas être déléguée aux seules ARS, mais en gestion coordonnée avec les acteurs dans le cadre d’une amélioration de la démocratie sanitaire qui nécessite des moyens financiers et techniques.